Circumstellar X-Ray
Kathy Le Vavasseur, la fascination du corps intérieur
Ses formes ondoyantes, et ses entrelacs parlent de l’eau. Les architectures, les circonvolutions organiques parlent du corps. Les premières réveillent sa mémoire visuelle, les paysages, le Mékong de son enfance. Les secondes, appellent à la mémoire profonde, qui suis-je ?
Kathy Le Vavasseur transpose dans la céramique des pulsions vitales. Son matériau plie comme sous l’effet du vent. La matière s’affine de plus en plus, s’enroule, se tord. Apparaissent des formes dérangeantes sans yeux et sans oreilles, l’artiste use d’un vocabulaire qu’elle emprunte aux découvertes de la science, les « Neurones », « ADN », « Genèse » mais aussi « Orogénèse ».
Dans la lignée des artistes qui saluent la découverte de Wilhelm Röntgen avec fascination, elle explore « l’iconographie de l’invisible » « Quoi ! On a radiographié ma tête. J’ai vu, moi, vivant, mon crâne…» s’exclame Guillaume Apollinaire en 1918.
Détournant les images médicales de leur but scientifique, les artistes affirment une nouvelle poétique. Dans son célèbre « Cri » Edvard Munch s’inspire de l’irisation de la lumière provoquée par les performances des rayons X. Emerveillé, le photographe Moholy-Nagy décrit en 1923 comment la radiographie permet de regarder à l’intérieur d’un objet, de percevoir simultanément sa forme extérieure et sa structure interne. Man Ray aussi. L’artiste allemande Meret Oppenheim propose l’image de son propre squelette de profil, son crâne est orné de boucles d’oreilles et les phalanges de la main de bagues l’intitulant « Autoportrait » (1964).
Une poétique du corps intérieur prend forme chez d’autres artistes contemporains. Kathy Le Vavasseur se l’approprie intimement à travers le matériau qu’elle connaît le mieux. Elle hausse la céramique au niveau de la sculpture à travers ses formes transgressives soulevant des questionnements sur l’intériorité physiologique de notre corps, sur ce qui nous échappe : la maladie, l’amour, la mort. Tout comme le personnage de Thomas Mann dans « La montagne magique » qui tombe amoureux d’une femme après avoir vu sa radiographie, l’âme de la personne aimée lui échappe.
« Je travaille sans préméditation » explique Kathy Le Vavasseur. C’est à travers le toucher et au contact de ses matériaux évocateurs qu’elle fouille dans sa mémoire, à la recherche de sa propre histoire.
Elle travaille également le textile dont elle connaît fort bien les textures douces ou rugueuses, les effets des bas déchirés sur la peau. Etrangères à une esthétique de salon, les blessures, les transparences, les fissures, les coutures apparaissent aussi dans sa sculpture. Dans l’art, comme dans la vie réelle le déplaisir n’est pas une insulte. C’est une évidence que l’on ne peut pas occulter.
L’artiste essaie d’ouvrir et de disloquer la matière comme si elle voulait ouvrir la peau de sa mémoire. Elle veut voir derrière cette enveloppe qui nous pare, nous cache et nous exhibe.
Sur des radiographies d’anonymes elle coud des ornements. Fragile, le verre brille, magnifiant ce qui irrigue l’intérieur du corps, ce qui en lui participe à l’infini. « Circumstellar X-Ray» nomme-t-elle l’ensemble de ses dernières pièces. Par un désir d’amplification, d’élévation métaphasique le microcosme rejoint le ciel étoilé. Elle me montre des planches anatomiques : « C’est beau, vous ne trouvez pas ? ».
Ses architectures blanches et poreuses comme des os, ses tours inspirées par la colonne vertébrale montée à l’envers nous rappellent des temples et des stupas de la belle Asie, des dévotions, l’espoir, la verticalité. Le monde meilleur viendra peut-être d’une révolution intérieure.
Ileana Cornea ( Artension)
Cluj novembre 2015