Isabelle de Maison Rouge à propos de Kathy Le Vavasseur

Ondoyance

La quête que poursuit Kathy Le Vavasseur trouve son essence dans la manipulation de la matière. Qu’elle utilise la céramique, le grès, la faïence, l’émail, le métal, le verre, le tissu, les chutes de collant, les cheveux ou l’imagerie médicale, elle explore sans cesse de nouveaux jeux formels et manuels en modifiant, en malaxant, en assemblant, en associant les textures.

C’est la matière dont elle part qui induit le cours de sa pensée que la main matérialise et modifie en lui donnant forme dans l’espace. L’artiste joue de la transparence, de la fluidité, de la souplesse et des caractéristiques de ces matériaux. La matière choisie lui procure des effets ou lui apporte une rénitence physique comme le fait un organe qui oppose une certaine résistance au toucher et donne une impression d’élasticité.

La surface intéresse l’artiste avec ses successions de reflets et de nuances, mais la fascine également le secret de la structure et de l’organisme. Dans un mouvement de balancier sa recherche se porte sur l’externe comme sur l’interne. Entre l’extime et l’intime, en sorte. Dans les objets qu’elle crée se perçoit ce double intérêt relatif à la part d’intimité qui est propre à tout individu parfois rendue publique ou gardée secrètement privée.

Kathy Le Vavasseur rend perceptible des éléments visibles et simultanément elle laisse affleurer des notions plus enfouies et imperceptibles, que seul un microscope pourrait déceler mais certainement pas décrypter et qui a trait à la nature profonde de l’être présent dans ses organes, inscrit dans ses gênes, issue de ses chromosomes. De l’infiniment petit à l’infiniment grand qui anime l’univers dans lequel nous évoluons, elle met à jour les mystérieuses composantes à l’origine de la vie et leur donne une forme poétique en trois dimensions la plus part du temps.

Les titres qu’elle donne à ses sculptures sont éloquents et parlent directement de cette attirance pour la science révélatrice des mystères du corps humain ou environnementaux que la sculpteure associe volontiers aux énigmes que recèlent l’âme et le mental et aux circonvolutions de la pensée. Translocation, ADN, mutation, fractal, Irregular Galaxy, Circum colonne, Circumvolution, Cyclogénèse, Neurone, Germinating thoughts, Food for the soul, Prédiction, Art divinatoire, Astrologie, Esotérisme, Cocon, Mue… Tous évoquent des formes en devenir, des mutations en œuvre et des œuvres en transformations.

Et les formes qui naissent de la main de Kathy Le Vavasseur sont évocatrices du geste fabricateur qui induit le passage du matériau à l’état de nature au matériau à l’état de culture. En cela elle inscrit son travail dans la lignée de grands artistes du XX° siècle à la suite des propositions de Marcel Duchamp, Jannis Kounellis, Claes Oldenburg, César, Eva Hesse, Barry Flanagan qui ont choisi de laisser à la matière et à sa propre réalité, une grand liberté d’action.

L’attention portée au matériau lui-même précaire et instable dans sa nature et la mise en évidence de ses potentialités traduisent la préférence pour un art où l’expérimental prévaut sur le maîtrisé, un art ambigu qui laisse transparaître le hasard comme matière première.

Les formes qui en résultent gardent les traces de leur naissance aléatoire, nées des remous de la matière et des questionnements de leur auteur. Dans ces propositions, comme le formulait Maurice Fréchuret[1], l’artiste ne cherche pas à outrepasser celles de la matière, mais au contraire à se conformer à elle, à se former à son image, dans une attitude de respect par rapport à l’élément premier.

Les matières choisies avec soin par Kathy Le Vavasseur de manière judicieuse et intentionnelle ont une consistance, une couleur, un grain, une lumière intrinsèque qui les poussent vers une certaine destinée ou une vocation formelle que l’artiste sait exploiter. Elles lui procurent un matériau actif qui devient l’élément déterminant du processus créatif, le « dépôt d’intentionnalité » comme le nommait Marcel Duchamp. L’interrogation permanente, le doute sont la base de la méthode qu’elle met en place et qui l’amène à expérimenter de nouvelles formes. Elle retient ces matériaux, pour leurs propriétés élastiques, pour leurs qualités instables, flexibles et molles qui constituent la base de son vocabulaire plastique.

Les formes souples induites par les substances provoquent des associations électives. Ondoiement d’herbes folles dans le vent ou d‘algues dans les vagues, ondulation de serpents ou d’intestins, entortillement de cadenettes évoquant des mèches de cheveux emmêlées, morphologie osseuse, plissements géologiques, plis de peau ou de vêtements … elles traduisent des évocations sensorielles qui remontent du lointain de l’existence de l’artiste, à la croisée de ses cultures familiales française, italienne et vietnamienne.

La ligne ondoyante domine et instaure un cheminement exotique qui suivrait les courbes de grands fleuves chers à Kathy Le Vavasseur et ses voyages intérieurs, Mékong, Gange, Seine, Pô. Ces œuvres font ressurgir les mots des frères Goncourt appliqués à la sculpture de Rodin « un homme de talent, un sensuel tourneur des ondoyances lascives ou passionnées du corps humain »[2] et j’ajouterais de l’existence toute entière.

Isabelle de Maison Rouge
Paris Juin 2020

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[1] Maurice Fréchuret, Le mou et ses formes. Collection Espaces de l’art, Ecole Nationale Supérieure des Beaux Arts, 1994, p 21

[2] Goncourt, Journal, 1889, p.1005